Pas de place pour deux

Je ne suis pas seul.
Je le voudrais, je le désire ardemment, mais rien à faire, quelqu’un est en moi, quelqu’un vit en moi, à mon corps défendant.
Le silence, dans ma tête n’existe pas.
Quoi que je fasse, une voix, une petite voix, commente mes faits et gestes, me les dicte même.
Cette voix m’énerve, m’exaspère, me rend fou, en un mot comme en cent, elle me pourrit la vie.

Parce que cette voix, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas là pour me soutenir, pour m’aider, bien au contraire!
Il semble que sa seule fonction soit de me rendre hystérique, de me faire passer aux yeux des personnes qui partagent ma vie pour un malade, un désaxé.

Et je n’en peux plus! Je voudrais… je veux, me débarrasser d’elle, à tout jamais!
Qu’elle se taise, enfin!
Mais je ne sais pas comment m’y prendre.

Tenez… ce que je suis en train d’écrire, en ce moment, c’est-elle qui me le dicte.
Je ne peux pas penser par moi-même; tout se matérialise là, dans ma tête, en paroles, que j’entends comme si elles existaient vraiment.
Je suis toujours soulagé quand les gens ne réagissent pas à certaines paroles osées, ou drôles qui résonnent dans ma tête, mais malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, et je me suis souvent retrouvé dans des situations très difficiles à cause de cette voix.

Certains commentaires sur des personnes présentes, me feraient hurler de rire si je ne me retenais pas, ou au contraire, me mettent hors de moi, tant elles sont méchantes ou vulgaires.

Mais je n’y peux rien… rien que subir ce dédoublement, sans pouvoir réagir. Pourtant, je sais bien que cette voix ce n’est pas moi.
Ça ne peut pas être moi.

Ce que j’entend dans ma tête me laisse souvent complètement abasourdi.
Mais comment puis-je avoir de telles pensées?

Tenez, l’autre jour, à l’enterrement d’une voisine, que nous ne connaissions pas beaucoup il est vrai, mais tout de même, c’était un enterrement, et bien tout à coup, alors que l’on entonnait le dernier chant, voilà que je me suis mis à fredonner, “ Ah! tu sortiras Biquette, Biquette…. ah! tu sortiras de ce trou là!!!!!

J’en ai eu le souffle coupé!
Comment cet air avait pu arriver jusqu’à mon cerveau, et surtout, comment avais-je pu le fredonner? Parce que la voix ne s’est pas contentée de le chanter dans ma tête, non je l’ai vraiment chanté!
Le regard que m’a jeté mon épouse n’était rien à côté de l’air courroucé de mes voisins proches.
Et je les comprends, puisque moi-même j’étais totalement effondré.

Je pourrais vous citer plein d’anecdotes du même genre.
Celle-ci, tenez.
Alors qu’une femme me parlait, une femme que je ne connaissais pas mais qui était présente à un vernissage auquel j’avais également été invité, je me suis tout à coup senti complètement déconnecté de cette conversation.
Je voyais bien ses lèvres bouger, mais je n’entendais plus ce qu’elle disait.
Par contre, dans ma tête, la voix s’est soudainement manifestée.
“ Qui est cette bonne femme et que me veut-elle? Je ne la connais pas. Elle m’agace à pérorer comme ça. Elle minaude… elle est ridicule… je n’en n’ai rien à faire moi, de ses idées sur ce tableau! Mais…ma parole… elle me fait du gringue!… non mais, elle s’est regardée? La perruque de travers, le rouge à lèvres qui déborde… et il n’y a pas que ça qui déborde… la graisse, mon Dieu… la graisse… elle en a partout!, sur les hanches, les bras, le cou… berkkk, qu’elle est moche!”

Tout à coup, je me suis de nouveau retrouvé dans la réalité, car j’ai vu le visage horrifié de cette pauvre femme, qui me regardait comme si j’étais le diable.
Je devais certainement avoir dit tout haut toutes ces horreurs, et la pauvre n’en croyait pas ses oreilles.
J’étais d’autant plus désolé que cette femme m’était très sympathique, et que je n’aurais jamais voulu lui faire de mal.
Je me suis immédiatement excusé en bredouillant, et en essayant, mais en vain, de lui expliquer mes problèmes, mais la pauvre s’est enfuie en courant, et je pense qu’elle court encore.

Un jour…
Une autre fois… mais je vais arrêter les exemples, il y en aurait trop.

Ce matin j’ai pris une grande décision, je vais tuer cette voix!
J’ai bien réfléchi, c’est la seule solution, tuer la source de tous mes ennuis, l’empêcher de continuer à me nuire, à me rendre fou. Ce sera elle ou moi!
Mais comment m’y prendre? Pas facile me direz-vous, et vous avez raison.

Je me demande souvent si, étant sourd, je l’entendrais toujours?
Comment procéder?
M’essoriller ne servirait à rien. Les pavillons ne sont pas la source de cette voix, et les arracher ne la ferait pas taire, hélas!
Ne pouvant me rendre sourd moi-même, je ne saurais jamais si ce serait la bonne solution.
Feindre d’ignorer cette insupportable présence?
Impossible, j’ai déjà essayé à maintes reprises, et sans succès.
Je dirais même que cela semble la rendre plus active et plus agressive encore.

Alors?

La solution, je l’ai enfin trouvée, et je vais la mettre à exécution immédiatement! …….

Exécution…

A… ad… adieu……..

Silence……….

(Tous droits réservés)

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7 réflexions sur « Pas de place pour deux »

  1. LILI
    apres la peinture et la sulpture..il te reste l écriture ….moi je pense qu il m arrive souvent d avoir plein de petites voix qui me serinent le cerveau quand je suis là où je n ai pas envie dêtre ou en face de gens barbants…..avoir envie de crier tout haut ce que mon cerveau ecrit …. mais alors la nuit …je te dis pas les petites voix … sont nombreuses….surtout les nuits de pleine lune …WOUAF !! loup garou
    en tout cas je vois bien la tete de la dame grasouillette….c est bizarre au dernier vernissage j avais envie de clquer le bec à une nana …ahahahah mais pourquoi tuer la voix…..remarque jeanne d arc les petites voix ne lui ont pas porté chance…ah non pas finir dans la cheminée !!!!

  2. JFM
    Les petites voix nous en avons tous en tête, tant qu’elles y restent çà ne gêne personne et il vaut mieux cà qu’un petit vélo. Tient, mais c’est bizarre tes nouvelles les plus sombres sont toujours écrites au masculin 🙂
    Analysez, analysez il en sortira quelque chose comme disait Freud ou est-ce Lacan ? Bises et chapeau pour la nouvelle

  3. maury
    une petite voix me dit….que c’est drôle .et elle as bien rigoler …moi je suis rester trés sérieuse en lisant ton histoire mais c’est plus fort que moi ……j’ai rie tout haut et fort..a cause » d’elle » …cela dit je suis d’accord avec ma petite voix..ton histoire …il fallait y penser!!!!! …surtout…..je la trouve réaliste et bien écrite..mais …la FIN…..ma petite voix me dit: ..ou est ma copine ???? ELLE AS DISPARUE ??…..moi je ne pense pas
    maury

  4. Gérard et Nicole
    Quel imaginaire…
    Une nouvelle qui nous laisse sans voix !!!
    Il serait content le narrateur, non ? Mais au fait pourquoi un homme, ça n’arrive jamais aux femmes ce genre de mésaventure ?
    En tous cas bravo.

  5. nicole
    Tu m’a tellement surprise !
    Ta petite voix, finalement, heureusement qu’elle existe
    puisque c’est un peu grâce à elle que j’ai pu lire cette nouvelle
    si bien écrite;
    Ma petite voix, je l’écoute car c’est elle qui me fait peindre.
    D’ailleurs, je suis sûre qu’elles se connaissent ta petite voix
    et la mienne, non ?
    Bravo et merci pour ce moment que tu nous fais partager.

  6. Entre la drôlerie et le tragique – les voix qui parlent dans la tête des schizophrènes par exemple – comment font-ils pour les arrêter ?
    Heureusement, tu traites le sujet avec beaucoup d’humour ( j’ai adoré le « ahah tu sortiras biquette biquette…. sauf que ce n’était pas vraiment le moment choisi pour chantonner la chanson)
    On a souvent des petites voix qui nous poussent à faire ceci ou cela – on se parle aussi à soi-même ( soliloquer c’est ça ?) au moins personne ne vous contredit …
    Mais deux « êtres » dans un même cerveau… au delà du côté comique, cela doit être insupportable –

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